SIMULACRES


PREFACE DU ROMAN SIMULACRES, éditions Presses Pocket, 1973

Simulacre, écrit en 1964, est une pièce importante qui se situe après l'époque productive de Dick, les années 1952-1962 où il compose quatre-vingt-quatre nouvelles et neuf romans. Mais aussi avant l'époque catastrophique où l'on annonce partout la mort prochaine de l'auteur, époque qui culmine en un long séjour dans une clinique...

Simulacres correspond aux moments de fièvre où la drogue prend de plus en plus d'importance, ceux du Dieu venu du Centaure. On y retrouve d'ailleurs la plupart des thèmes qui foisonnent dans ce dernier roman.

Le Simulacre, c'est l'objet factice qui remplace le vrai et tente de se faire passer pour lui. Equivalent mécanique de la vie, il fonctionne sur l'illusion : il ne peut entrer en relation avec les autres que tant que se maintient l'imposture. En ce sens, le thème du simulacre rejoint les oppositions vrai/faux; réel/illusoire; vie/mort qui fondent tout ce qu'a pau écrire l'auteur.

Aux origines était le simulacre. Dans Beyond lies the Wub (1952), première nouvelle publiée de l'auteur, un être humain se fait absorber par un extra-terrestre qui prend ses traits et sa voix, sa place dans la société, s'identifiant totalement à sa victime, sauf pour quelques détails révélateurs de la supercherie.

Douze ans plus tard, dans une nouvelle, Simulacre (1964), à ne pas confondre avec le roman, la fausse vie affirme son omniprésence. Une gigantesque guerre a opposé Mars et la Terre, et cette dernière ne s'est pas relevée. La planète n'est plus qu'un champ de scories; les ruines y constituent le seul paysage; dans les décombres, nul être vivant ne vient errer. Mais cette réalité, les martiens ne peuvent se permettre de la laisser percevoir au dernier des humains. Ils ont trop besoin de son aide dans leur travail de reconstruction de l'univers endommagé. Aussi déploient-ils autour de lui les artifices de l'illusoire : devant ses yeux, les faux arbres bruissent dans le vent; les fausses villes gardent quelques bâtiments intacts; les fausses fleurs éclosent. Un simulacre de chat ronronne doucement près de lui, qui conserve dans la complentation du factice sa santé mentale.

We can build you (1972), porte le doute à ses limites, puisqu'il présente un très célèbre simulacre : Abraham Lincoln ! Déjà dans plusieurs de ses romans comme La fourmi électronique (1969), Ubik (1969), Do androïds dream of electronic sheep ? (1968), Dick amenait, au fil des lignes, le lecteur à douter de sa propre réalité d'être vivant.

Ainsi, l'être artificiel traverse l'oeuvre toute entière, apportant son message de mort aux existences en sursis. Simulacres est certainement le roman où le thème de l'artificiel qui cherche à se faire prendre pour vrai est le plus insistant. Il fait suite à la nouvelle Novelty act (1969) parue dans le magazine Fantastic qui préentait déjà certains des personnages que l'on retrouve ici. Dans l'un comme dans l'autre, l'univers est remplis de simulacres.

Les Etats-Unis d'Europe et d'Amérique sont dirigés par un être artificiel, mais bien peu le savent... Il débite ses discours automatiques à la télévision, et presque personne ne l'écoute. Car les électeurs n'ont d'oreilles et d'yeux que pour sa femme constitutionnelle, Nicole Thibodeaux, la véritable maîtresse de ce monde fondé sur le faux semblant. Une semblance poussée à l'absurde puisque Nicole elle même est une actrice que l'on change toutes les décénnies afin que se conserve sa jeunesse apparente...

Et l'univers s'effiloche, les mailles lâchent une à une; à chaque césure la structure toute entière vacille jusqu'à l'instant où le tissu en lambeaux cède. Simulacres contre ainsi les derniers jours de la névrose sociale aui a amené tout un peuple à investir de la toute puissance une femme et à scotomiser la figure paternelle.

Alors se dévoile une des significations du thème du simulacre : l'agression contre la relation parentale et la haine qui débouche dans La Fourmi électronique sur la destruction de l'univers dans le suicide du héros.

L'oeuvre de Dick met en scène une procession toujours renouvelée de simulacres. Et toujours la question de la vie confrontée à la mort se pose avec plus d'intensité. Souhaitons qu'elle puisse encore et longtemps être médiatisée dans les pages d'un roman.